Ecris libre

Foutus portables

Je me sens de plus en plus seule à la fac.

J’apprécie un peu plus les projets que l’on mène là-bas, je touche enfin du concret.

Mais bon dieu, même si je n’ai plus ces envies de retourner au lycée comme l’année dernière, j’aimerais pouvoir avoir au moins une personne avec qui réellement discuter. Ma promo est divisée en trois grands groupes (pour les travaux pratiques) divisés par deux (pour les travaux dirigés). En tout, nous devons être quatre-vingt. Evidemment, les personnes que je croise le plus souvent sont dans mon groupe de TD. Je m’entends plutôt bien avec un groupe de garçons, mais ils habitent trop loin pour qu’on puisse se voir en dehors des cours, et j’ai l’impression de les fatiguer. Je pensais que les cours allaient m’abattre, mais pas du tout, au contraire même. Lorsque nous attendons les profs dans les couloirs, j’éprouve la folle envie de danser, de faire cinquante fois le tour d’un terrain de foot en courant, je ne tiens pas en place. Il y a toujours ces soirées organisées par les associations étudiantes auxquelles je pourrais me rendre, mais les groupes qui y vont sont déjà formés. De plus, elles ont toujours lieu en semaine, ce qui signifie deux choses pour moi ; ne pas pouvoir boire de la soirée pour rentrer en voiture, et potentiellement louper une partie des cours le lendemain matin. J’habite trop loin pour avoir une vie étudiante classique.

En plus, je ne peux pas vraiment y aller avec Fred ou d’autres copains. La dernière fois qu’on s’est pointés tous ensemble dans une soirée étudiante, les pavés tremblaient sous les pieds des étudiants réunis au centre d’une placette. La musique tambourinait nos oreilles, elle m’enveloppait. J’avais cette envie folle de rejoindre mes semblables, tandis que mes amis préféraient profiter de la sensation exquise du métal froid d’une chaise de terrasse sur leur peau. Finalement, Wilfried, mon pote geek, a daigné m’accompagner, mais il n’a pas tenu longtemps. J’y suis retournée toute seule, mais je ne me sentais pas vraiment bien. Tout le monde avait son groupe. J’étais la proie idéale pour tous les mecs paumés en manque de chair fraîche. Alors, j’ai rejoint ma bande sur la terrasse.

Si je demandais l’avis de quelqu’un là-dessus, on me conseillerait sans doute de rejoindre un club de danse près de chez moi.
Je termine tous les jours à 18h30, et avec les transports en commun, je suis chez moi pour l’heure de dîner. Les soirs de week-end sont importants pour moi, ils me permettent de recharger mes batteries et de voir Fred et les autres. Je pourrais toujours me renseigner pour y aller le samedi après-midi, mais je sais très bien à quoi m’attendre ; des associations de jeunes mamans (l’horreur), de mamies, ou de lycéennes en manque de reconnaissance. Je n’ai pas envie de courir dans une grande ville pour chercher un club avec ces horaires précis et des gens de mon âge, car je suis loin de tout et ça me prendrait bien trop de temps en voiture pour, j’imagine, une ou deux heures de cours.

Mais le fléau suprême, pour moi, c’est le téléphone portable. Je ne vais pas jouer à la fille différente qui ne l’utilise jamais, je reconnais son utilité, et je sais très bien que ce je vais écrire n’a rien de très original.
J’ai envie de l’interdire, que mes camarades étudiants relèvent la tête vers leurs semblables. Je ne veux plus de ces silences gênants où seuls percent les bruits des notifications, des claviers virtuels, des courtes vidéos basculées vers le haut à la va-vite, comme si rien n’avait vraiment d’importance. Je voudrais qu’il disparaisse pour de bon, parce que je me doute que les avancées technologiques produiront bien pire en terme de produits asociaux de ce genre.

Moi, l’asociale de service, j’éprouve ce besoin de rire et de vivre des moments simples avec des gens de mon âge, pendant les cours. Pour le moment, je ne fais que lire. Je parle un peu à tout le monde, mais il semblerait que je sois assez oubliable. Les gens que je trouve intéressants ne sont pas dans mon groupe, je les vois peu, et eux se voient tous les jours. Je ne peux pas changer de groupe à ce stade de l’année. On verra bien en septembre.

J’ai commencé la série The Office, version américaine. Elle se passe dans les années 2000, dans un bureau d’une filiale d’une entreprise spécialisée dans le papier. A chaque fois que je sors de cours, que j’ai du temps libre, je lis ou je regarde cette série. Parfois j’aimerais qu’il existe un type marrant dans le genre du patron Michael Scott pour venir égayer ma classe. Et surtout, j’aimerais revenir à la mode des téléphones à clapet (les vrais, pas les nouveaux Samsung qui se plient). J’aurais bien voulu naître dans les années 80 ou 90 pour pouvoir profiter de la montée d’Internet. Je n’ai que des souvenirs diffus de cette époque. J’ai connu les vieilles interfaces des sites web, d’Instagram, mais tout va trop vite. J’ai conscience que si Internet et les téléphones portables disparaissaient du jour au lendemain, la plupart de nos habitudes s’en trouveraient perturbées. Je n’aurais plus vraiment de perspectives d’avenir dans mon domaine professionnel. Peu importe au fond, parce que ça n’arrivera jamais.

Les gens de ma classe essayent Chat GPT en ce moment. Certains s’amusent à écrire des histoires. Tout cela me consterne. Pourquoi ne pas stimuler sa propre imagination ? Il me semble que cette intelligence artificielle est développée en deep learning. A savoir, pour faire court, qu’on lui donne beaucoup d’information sur un sujet, de manière à ce qu’elle reconnaisse ce sujet et qu’elle puisse le traiter. Ce n’est pas si lointain de nos propres méthodes d’apprentissages, finalement. Bien que nous soyons des êtres dotés d’un corps et de sensations. Bref, je comprends que cette intelligence artificielle soit un super outil pour apprendre de nouvelles choses, mais je n’ai aucune envie d’être remplacée. Je ne veux pas qu’on écrive mon roman à ma place, ou que les maisons d’éditions s’en servent pour définir les nouvelles règles de la littérature de maintenant, à savoir la littérature qui se vend. L’art ne devrait jamais être échangé contre de l’argent. Je n’ai pas envie de vivre de mes romans. Je les écrirai, je les publierai, peu importe comment. Je trouverai un moyen de les diffuser à travers le monde. Gratuitement.

Bref, j’essaye de ne pas donner trop d’importance à tout ça pour ne pas tomber dans un arrière-monde. Je suis censée aller à la fac pour étudier, pas pour me faire des amis. Je dois accepter le monde moderne et ses dérives. Je dois vivre dans la réalité.