Ecris libre

Johnny and Mary - Robert Palmer

A partir de maintenant, je pense que je mettrais directement des titres de morceaux que j’aime bien, qui surgissent d’un seul coup dans ma vie, souvent à la radio, souvent sur Nostalgie.

Celui-là, je l’ai attrapé en rentrant chez moi, après une journée à chercher un stage (pas payé, merci la fac), et une soirée pépouze avec le Gé. Le Gé, c’est un pote de dix ans de plus que moi. Il a vécu, bien plus que la plupart des gens que je connais. On traîne à trois avec Fred la plupart du temps. On s’est capté vers dix-huit heures pour aller se prendre des gnocchis chez le même traiteur que d’habitude, pour les manger dans ma voiture, sous les néons d’une enseigne de piscine.

Pendant qu’on mangeait, il a commencé à me raconter comment il avait rencontré ses potes, et les soirées qu’ils faisaient à l’époque. Ca avait l’air dingue. Au programme, alcool, danse sur les tables, pote qui se retrouve de l’autre côté de la France en 48h sans argent ni moyen de transports, et encore un peu d’alcool. A le voir maintenant, on y penserait pas. Gé est quelqu’un d’extrêmement prudent, même s’il lui arrive de prendre des risques, mais c’est toujours contrôlé.

Y a deux jours, j’ai croisé mon petit frère en voiture. On souhaite organiser une soirée chez nous sans que les parents soient au courant. Gé m’a proposé de nous aider, parce que mon frère est encore jeune et ne saura probablement pas comment gérer tous les invités. Comme je suis l’ainée j’ai quand même la responsabilité de la maison et s’il arrive quoique ce soit, je suis dans la mouise. Sans le vouloir j’ai révélé à ma mère qu’on allait peut-être organiser un truc, j’ai envie de me gifler parfois.

C’est là où je voulais en venir. Je le note ici pour me l’imprégner dans la tête et pour ne pas que je dévie de mon chemin. Je n’ai pas écrit hier, alors que j’en avais besoin, mais j’étais trop fatiguée pour le faire.

Mes parents nous ont toujours interdit pas mal de choses à mon frère et moi, si bien qu’on en a parfois abusé. De mon côté, je fais l’hypocrite, je me conduis comme la parfaite petite bourgeoise même si je me laisse de moins en moins dicter une conduite, et de l’autre, je cultive une attitude de rebelle devant mes potes, même si mes réflexions de fifille à papa me trahissent souvent. Mon frère, c’est l’inverse. Il profite à fond de tout ce que mes parents ont à offrir, mais de l’autre, il sort quand il le veut, il ne change pas son attitude même si ça stresse ma mère, il vit au jour le jour quoi, sans se poser de questions pour le lendemain.

Mais finalement, je pense qu’il y a du bon à prendre dans son comportement; il ne parle jamais de sa vie, donc ne se trahit jamais. De mon côté, j’ai toujours des remords à faire l’hypocrite. Fred a lancé que j’appliquais une morale kantienne, c’est-à-dire (je traduis pour les non adeptes de la philosophie), que je m’efforçais de toujours dire la vérité, du moins en ce qui concerne ma mère. Ce n’est pas totalement vrai. Avant, je fabulais beaucoup, mais ma mère s’en est rendue compte. Elle part du principe que je mens tout le temps. J’ai eu pas mal de remords, surtout après la prépa (pour faire court, j’ai tenu moins d’un mois, j’ai déçu ma famille mais ils ne veulent plus assumer leurs paroles passées) et je sais que depuis que j’ai quitté le lycée, son regard sur moi a changé. Elle doit me voir comme une ratée, et ça ne me gênerait pas tant que ça si ça n’impliquait pas de devoir rapidement trouver un plan pour assurer mon autonomie sur le plan financier. Ce n’est pas en vendant de stickers sur le Net que ça ira mieux, mais on peut toujours essayer histoire de se faire un peu d’argent en cas de problèmes. Bref, depuis l’année dernière, j’essaye d’être franche avec elle pour être en paix avec moi-même, mais ça m’apporte plus d’ennuis qu’autre chose. Peut-être simplement que je devrais omettre la majorité de ce que je lui dis, et simplement la prévenir quand je sors.

C’est terrible, parce que j’ai cultivé cette habitude de lui parler (de me plaindre) pendant des heures, mais il serait peut-être temps de se trouver un interlocuteur qui n’aie pas de pouvoir sur moi. C’est la solitude qui m’a rapprochée de ma mère, mais à présent, j’ai juste envie d’avoir vingt ans, des amis, et une vie hors étude. En plus, à force de lui dévoiler toutes mes pensées et mes rancoeurs, je lui donne des dossiers à ressortir quand on se dispute, parfois du stress, ça se retourne toujours contre moi. De son côté, mon frère joue le poker face. Avant, je le jugeais. Je me disais "Quel sans-coeur, il ne profite jamais de sa famille, toujours sur son téléphone". Ca, c’était avant de me rendre compte qu’on ne m’écoutait jamais vraiment. Les adultes de ma famille pensent tout savoir sur la vie. Pendant les repas de famille, on me coupe toujours la parole. On s’intéresse uniquement à mon cas pour sortir des phrases toutes faites, des banalités. Histoire de parler quoi. De "gagner le débat". Alors, autant tout garder pour soi et vivre sa propre vie, suivre son propre chemin en attendant d’avoir assez d’argent pour quitter le nid. Ca m’attriste beaucoup, mais c’est comme ça.

Je ne sais pas si Frérot en a déduit les mêmes choses que moi et s’il cultive cette attitude pour ces raisons, mais si c’est le cas, alors ça veut dire que je l’ai grandement sous-estimé.

Hier, j’ai séché les cours. Avant de juger ma conduite, il faut garder en tête que :

-Mes profs devraient avoir la palme d’or des profs les moins organisés. Retards de quarante-cinq minutes, cours de dix minutes pour nous lâcher parce que "à partir de maintenant c’est grève", changements d’intitulés de devoirs à la dernière minute, gros devoirs à rendre PENDANT les vacances de Noël, des heures de trous entre deux cours pour finalement du travail d’autonomie (donc, on aurait pu le faire chez nous, et mieux installés en plus ?) et pour couronner le tout, un esprit d’entreprise avec ces mots anglais qui me sortent par les yeux (meetiiiing, brainstormiiing...)...Allez cerise sur le gâteau : certains profs ne parlent QUE de leur vie. Ils meublent, meublent parce qu’ils savent qu’ils n’ont rien à dire, mais leur vie leur paraît tellement plus passionnante que le cours, cours qui nous est ensuite envoyé par mail, parce qu’on n’a pas pu le voir en classe (vu que l’autre était trop occupé à nous dévoiler les moindres détails de sa vie, que nous avons tous déjà entendus par ailleurs, parce qu’il les raconte à chaque fois). Impression d’écouter un CD rayé.

-Il y avait grève, donc la veille, les trains que je pouvais prendre pour repartir chez moi étaient annulés, puis quand je me suis réveillée bien tard, bizarrement, ils pouvaient prendre des passagers. J’habite à quarante minutes de la fac sans compter les bouchons. Il y a bien des parkings souterrains, mais payer douze balles pour trois cours (bien nazes), ça me semblait pas être l’affaire du siècle. Et finalement, j’avais bien raison.

-Fred m’avait proposé une petite sortie aux oignons avec un pote dans un bunker abandonné dans les collines. Repérages pour un clip de rock dans lequel je vais jouer. Le pote est musicien, je vais pouvoir l’aider pour sa com'. Petit thé pépouzes devant le bunker, avec les rails de la voie ferrée à cinq mètres de nous. La belle vie.

J’ai fait l’erreur de dire à ma mère où j’allais. C’était carrément de la provoc, je lui ai même demandé d’expliquer son ressenti, mais j’ai compris que c’était sans espoir quand elle a sorti une réponse toute faite, à savoir "mais j’men fous des autres". Elle a l’air de penser que traîner avec mes potes fera forcément de moi une ratée. Je préfère ça à devoir supporter des pseudos génies sortis d’HEC. Berk.

Puis même, j’ai toujours été parfaite, mais visiblement, j’aurais pas dû. Elle a l’air de penser que je n’ai jamais travaillé, que mes facilités d’apprentissage sont un moyen de me faire culpabiliser parce que je ne travaillais pas aussi dur qu’elle à mon âge, peut-être. J’en sais rien et ça me soûle de devoir embarquer la psychologie de comptoir là-dedans. Nos parents devraient régler leur problèmes avec eux-mêmes avant de faire des enfants. Parfois j’ai envie de descendre dans le salon pour qu’elle constate que je travaille. Mais maintenant, fini. J’encaisserai les remarques, et puis basta.

Travailler comme une forcené ne m’a jamais réussi. A la fin du premier semestre, je devais rendre un site web, j’y ai passé nuit et jour, pour me taper la même note que si je n’avais pas travaillé. Nos profs ont appelé aux tableaux les dix meilleurs de la promo. Tant mieux pour eux hein. Faudra les prévenir qu’il n’y a plus de mentions sur les diplômes. Donc, ouais, je ne serais jamais la meilleure. Et tant mieux, parce que je n’ai rien à me prouver.

Toute à l’heure, elle a sorti un truc, comme quoi faire seulement un CAP, pour mon frère c’était pas rien non plus, que ça valait quelque chose sur le marché du travail quand même, que les gens qui pensaient qu’avec un bac +5 on pouvait tout faire ne vivent pas dans la réalité. J’avais envie de lui rire au nez, de rire et de pleurer en même temps. Je n’aurais jamais dû jouer à l’enfant modèle avec eux. Avec mon frère, ils revoient leurs exigences à la baisse, et pourtant, il a plus de droits que moi à son âge.

Bref, inutile d’employer le conditionnel. Je ne trouve pas toujours de bonnes répliques à garder dans mes romans, mais celle-là a raisonné en moi. Elle vient de Rive Droite, de Pierre Bordage.
"On ne construit pas un monde avec des regrets, ni avec des souvenirs, mais avec la réalité. Ce que nous ne pouvons pas changer, nous n’avons d’autre choix que de l’accepter."

Un peu cliché, je vous l’accorde, mais parfois, j’ai tendance à l’oublier. La base du stoïcisme.