L'allemand.
Je suis gênée.
A force de faire des recherches google ciblée, je me suis retrouvée à télécharger Messenger, par curiosité. Comme une conne, j’ai cherché le nom de mon ex dans la barre de recherche d’un groupe en commun et j’ai déclenché un émoticône sans le vouloir.
Certains d’entre vous pensent déjà que je le regrette, mais pas du tout. C’est quelqu’un qui m’a traumatisée. Et j’avoue, parfois, il m’arrive de regarder un peu ce qu’il devient dans l’espoir d’apercevoir un signe de son malheur. Ca va un peu mieux que ces derniers mois, où je rêvais des moments les plus traumatisants à chaque fois que je le crois dans mon ancienne fac ou la ville où je traine. Ca va bientôt faire cinq ans qu’on m’a volé ce que j’avais de plus précieux. Mon innocence. Quand j’y repense, je me sens sale, très sale.
Bref, même si je sais que je suis passée à autre chose et que je ne fais plus ses cauchemars horribles, j’ai quand même ce mauvais réflexe qui ressurgit parfois. Je n’en parle pas à Fred même si je pense qu’il doit se douter de ça. En fait, comme j’ai conscience que c’est pathétique, je préfère taire le sujet. Comme je le fais de moins en moins et que je me suis cramée sur Messenger, je pense que je ne vais plus jamais le refaire. Au moins, ça me servira de leçons.
Hier soir, nous devions aller danser dans une grande ville avec Lucie, mais elle a annulé au dernier moment à cause d’une fièvre. Aucune idée de la véracité de son excuse. C’est ce qui m’énerve le plus dans les rapports humains; les excuses. J’ai passé la soirée avec Fred et ses potes communistes, soirée appréciable bien que compliquée sur la fin à cause d’un mal de ventre prévisible de mon côté. Mon cargo me serrait un peu trop. J’ai l’impression d’avoir pris du ventre, mais j’ai de la marge, donc ça va. Fred m’a mise en confiance malgré mon état. Il sait prendre soin de moi.
Toute à l’heure, nous nous sommes revus près de chez moi. Il était accompagnée d’une amie en commun, Rose. Nous l’avons rencontrée une nuit où le Gé avait voulu charger des anglais un peu trop irrespectueux du consentement après avoir trop bu. Le Gé pèse vraiment son poids, le spectacle était donc particulièrement digne d’intérêt. Pourtant, ce soir-là, je n’en menais pas large.
A deux doigts d’appeler les flics, par peur que ca dégénère. Bref, peu de temps après, Rose a commencé à sortir avec un ami de Fred, qu’on nommera San. San n’a jamais été très extroverti, ni très joyeux, mais c’est un garçon calme avec qui j’apprécie passer du temps. Il a de bons goûts musicaux.
Je me suis davantage rapprochée de sa copine, curieusement d’ailleurs, parce que j’ai toujours eu un peu plus de mal avec les filles. Bon, en vérité, j’adore passer du temps avec la gente féminine mais à l’époque, je me prenais vraiment trop la tête et je ruminais encore mes sombres années de collège. Pour décrire Rose : imaginez un rayon de soleil.
Elle a des problèmes dans son couple depuis qu’elle a emménagé avec San. Pour faire court, il se comporte en macho paresseux. Fred l’a rassurée, lui a parlé de Nietzsche, de l’exaltation de la vie. Plus il le répète, et plus ça s’imprime dans ma mémoire. Je ne veux plus me torturer. Fred est ma dynamite. Il a détruit les fausses certitudes et les a remplacé par des envies profondes de profiter de chaque instant, chaque plaisir.
Je lui ai demandé comment faire face au nihilisme. Il faut l’embrasser. Nager, garder la tête au-dessus de l’eau sans vouloir à tout prix trouver un radeau pour donner du sens à l’ensemble. Le sens n’est pas commun, il est seulement personnel. Lorsque j’attend des autres quelque chose, je leur plaque une idée sur la tête et leur reproche de ne pas correspondre à quelque chose dont ils n’ont pas idée, puisque tout vient de ma tête.
Rose écrit des chansons parfois. Fred m’a expliqué qu’il trouvait sa chanson écrite pour l’occasion bien trop focalisée sur la description du malheur de San. Elle se place elle-même comme la simple copine. Elle nie son existence même dans son processus d’écriture. Il faudrait que je garde ça dans un coin de ma tête pour mes romans.
Pense à la langue allemande, où les verbes ont bien plus d’importance que le reste.