Ecris libre

Je ne sais pas quoi faire

Ca doit bien faire deux semaines que je n’ai pas écrit ici, sinon plus. L’envie d’écrire m’a souvent traversée, mais j’ai toujours autre chose à faire. Aujourd’hui, pourtant, il me semble urgent de prendre le temps de mettre à plat les idées qui m’envahissent ces derniers temps.

Je suis allée voir ma famille à l’autre bout du pays avec Fred, pendant trois jours. Pour résumer, j’ai dépensé beaucoup d’argent pour une qualité de voyage assez médiocre (c’est la dernière fois que je pars pendant les vacances scolaires), Fred a blagué avec ma famille des deux côtés (mes parents n’étaient pas là) et nous avons visité la ville dans laquelle je me promenais enfant pendant la période de Noël. J’aurais bien voulu lui montrer les villages voisins mais nous sommes venus en train et vu notre âge, personne n’aurait voulu nous louer une voiture pour le séjour.

Fred a enfin sa propre voiture. Elle est vieille, mais confortable, bien plus belle que la mienne en tout cas ! Dire qu’il y a encore deux ans, je pensais qu’à vingt ans je roulerai en van Volkswagen ! C’est effrayant d’avoir autant revu mes objectifs à la baisse. D’un autre côté, je ne pouvais pas prévoir que ma conduite serait désastreuse, amplifiée par des profs d’auto-école stressants et un petit -ami parfois un peu dur quand je me trompe au volant. Je n’ai pas envie d’arrêter de conduire pour autant sous prétexte que môssieur a une nouvelle voiture. Au fond, je ne veux pas laisser tomber ce rêve. Tout comme je ne veux pas laisser de côté mon roman.

Ma plus grande erreur a été de me perdre dans l’imaginaire par pur dégoût du réel. D’un autre côté, en ce moment je dévore une utopie socialiste et j’avoue que quand je lève le nez de mon livre, le monde que j’aperçois autour de moi ne fait pas vraiment envie. Même Fred, que je considère de loin comme la personne la plus susceptible de me comprendre sur tous les points, même lui garde ce mauvais réflexe de rester pas mal de temps sur son téléphone quand nous sommes en groupe. J’avoue ne pas trop comprendre l’intérêt. Dans l’histoire que je lis, les gens ont beau avoir des portables, ils communiquent entre eux. L’appareil n’aspire pas leur volonté à se lier d’amitié, voir simplement à prêter attention à autrui. J’essaye de m’ouvrir davantage cette année, de faire des compromis avec cette part de moi qui se méfie de tout, tout le monde, tout le temps. Je veux juste vivre sans cette peur de gamine de me faire rejeter, harceler, insulter. Toutefois, ma méfiance à l’égard des gars reste intacte. Je ne ferai jamais confiance à cent pour cent à un autre homme que Fred (et mon père, cela va de soi). Mais parfois, je sens que mon entrain épuise les gens. Automatiquement, ils se tournent vers leurs machines, ils me renvoient l’illusion de me battre contre une entité bien plus forte que moi pour capter l’attention, bien plus attrayante. Ce combat m’épuise d’avance.

L’intelligence artificielle commence à me faire peur d’un point de vue professionnel. Je pensais créer mon entreprise de design ou de rédaction web, mais je ne sais pas vraiment si le tout en vaut la peine. Les seuls cours qui me sont vraiment utiles n’ont lieu que deux ou trois fois par mois et sont des cours de développement web. Même si je sais qu’il y a davantage d’opportunités là-dedans, je n’ai pas les notes requises, ni la patience pour me diriger dans cette direction (je dois choisir un parcours parmi trois l’année prochaine). Chat GPT menace également le métier d’écrivain; beaucoup d’entre eux le voient comme un outil, mais je ne suis pas dupe. Il est de l’intérêt de ses créateurs d’endormir les créateurs avec ces idées pour mieux les trahir cinq ans plus tard, avec des capacités supérieures à ce que n’importe quel être humain pourrait produire. Après tout, quand on écrit, nos émotions ne sont qu’un empilement de mots pour le lecteur. Un algorithme conçu d’une certaine façon pourrait très bien assimiler les expressions nécessaires pour fournir un roman touchant, si bien que la fameuse "authenticité" encore très en vogue dans le milieu littéraire se verra vite adoptée et vendue en milliers d’exemplaires. Et puis, que penser du futur de l’humanité d’un point de vue professionnel avec toutes ces évolutions ? D’abord les caissières, ensuite les graphistes, après les écrivains, journalistes. Les professeurs ne tarderont pas à y passer, ainsi que l’administration. Des tas de gens vont se retrouver au chômage, avec cette incertitude horrible, je suis convaincue de ne pas être la seule à la ressentir, cette incertitude de ne pas savoir dans quel secteur se lancer, par peur d’être remplacé par plus performant.

Fred me répète que si j’attend vraiment d’avoir toutes les compétences possibles dans les secteurs qui m’intéressent, je ne travaillerai jamais. J’aimerais le croire, mais je garde à l’esprit que je suis loin d’être la seule à vouloir percer dans le multimédia, que les petites entreprises ne voudront bientôt plus payer pour nos services grâce à notre ami Chat GPT. Il est hors de question que je m’en aille à Paris, je préfère encore changer totalement de secteur d’activité, repartir à zéro.

J’ai retrouvé un vieil ami du collège, nous étions les camarades d’emmerdes. Tous les deux harcelés. James a reproduit la même erreur que moi en allant en fac de langues, et maintenant, il est tout aussi paumé que je l’étais l’année dernière. Parcoursup va bientôt fermer ses inscriptions, et je me dis que je devrais peut-être songer à trouver une nouvelle formation, peut-être en génie électrique, qui sait ? Oui, mais pour faire quoi ? Au bout de combien d’années d’études ? Et surtout, est-ce que je serai prise malgré mon piètre niveau en maths (bon, pas tant que ça, j’adore les sciences, mais j’ai quand même plusieurs années de maths à rattraper) ? Une petite voix me chuchote que si j’arrête mon BUT maintenant, j’aurais encore gâché un an. Je m’engueulerai encore avec mes parents. Mais j’aurais appris quelques trucs. Je peux peut-être tenir encore un an, au moins, j’aurais déjà un DUT.

Une partie des gens que je connais sont convaincus que les diplômes valent de l’or, tandis que l’autre partie pouffe quand elle entend des "âneries pareilles". Je ne sais pas quoi penser de tout cela. Nous vivons dans une drôle d’époque. La génération de nos parents, la génération Y, semblent ne jurer que par les études, poussées sans doute par leurs propres parents, qui n’avaient pas forcément les moyens de continuer après quatorze-quinze ans. Les connaissances, je les ai sans doute déjà, et celles qui me manquent, je me sais capable de les acquérir. Ce qu’il me manque, c’est le soutien de mes parents. Je sais qu’ils partent du principe qu’avec mes capacités, ce serait du gâchis de tout arrêter maintenant.

Fred me traite d’esclave, je sais qu’il a raison. Nous nous faisons marcher dessus par les profs, nous rechignons à peine quand ces derniers se pointent en cours avec quarante minutes de retard sans s’excuser. Nous devons demander la permission pour aller aux toilettes, comme de bons toutous. Nous apprenons des leçons, non pas pour avoir des compétences, mais pour avoir de bonnes notes, dans l’espoir quasi divin de plaire à nos parents, nos entreprises, ou quiconque ayant une autorité sur nous. Je me hais, je me déteste de réagir de cette façon là. Enfant, je me figurais comme une rebelle. Je me disais qu’en cas de remise en question des puissants, je serais de celles qui agissent. Aujourd’hui, je me retrouve sur le banc facile d’accès des incapables, des soumis. J’ai peur. Et cette peur, elle me force à rester accrochée à des certitudes qu’on m’a implantée dans le crâne sans que je puisse savoir si elles sont vraies.