Ecris libre

Nothing Ever Last Forever

Je ne sais pas par où commencer.
Mes publications s’espacent de plus en plus, mais je recommence à avoir pas mal de travail avec les études. Sans compter que maintenant, je dois aussi gérer la maison. Mes parents sont partis, nous laissant mon frère, ses amis et moi dans une grande maison à remplir de voix, de rires, et parfois, oui, de pleurs.

Hier soir a eu lieu la fameuse soirée que nous préparions depuis deux mois. Grisant de partager un secret avec mon frère, nous ne sommes pas très proches de manière générale.

Evidemment, penser que je pourrais gérer seule une flopée d’adolescents n’était que pure illusion. Mes amis m’ont un peu aidé, mais rapidement, la situation a dégénéré. Je devais contrôler la quantité d’alcool de chacun, mais je ne pouvais pas gérer tout le monde. Mon frère a rapidement dépassé ses limites, même s’il gérait plutôt bien jusqu’en milieu de soirée. Mes amis s’étaient un peu isolé, même si les deux groupes cohabitaient ensemble de manière assez troublante. Je connais certains amis de mon frère depuis plus de treize ans, et je n’avais jamais réalisé la vitesse à laquelle ils avaient grandi. Je me suis retrouvée au milieu de dizaines de potins. Bien évidemment, je ne veux pas m’impliquer dans les histoires de mon frère, bien que j’ai quand même prêté une oreille attentive et prodigué quelques conseils aux plus matures d’entre eux. Certains m’ont d’ailleurs aidé à gérer la soirée, ce qui n’était pas du luxe. A force de courir à droite et à gauche, je n’ai pas vraiment profité de la soirée et surtout, j’ai accumulé une certaine quantité d’alcool dans le sang. Mon tempérament responsable mélangé à l’anxiété me permettait tout de même d’avoir conscience des enjeux autour de moi, mais je n’ai pas réussi à fermer ma bouche à temps pour éviter qu’une blague complètement pourrie en sorte.

Quatre amis me secondaient : mon fidèle Walter (le garçon le plus gentil que je connaisse), Fred, San (le meilleur ami de Fred) et son ex copine Moon, également mon amie (du moins, elle l’était encore à ce moment-là).

Pour contextualiser, Moon et San formaient un couple avec qui nous sortions parfois, Fred et moi. Ils ont emménagé ensemble en début d’année scolaire malgré de gros soucis financiers, ont adopté un chaton. Bref, on aurait pu croire que tout allait continuer pour le mieux pour eux, mais pas du tout. Nous ne les voyions plus vraiment à cause de la distance entre nous et leur appartement, non loin de leur lieu d’étude. Mais je savais que leur couple battait de l’aile depuis quelques mois. Il y a environ trois jours, j’ai appris qu’ils s’étaient séparés.

Evidemment, ils étaient tous les deux dévastés. Fred se chargeait de changer les idées de San pendant que je faisais de même avec Moon. Etant donné que San n’avait plus vraiment d’endroit où dormir, je lui ai proposé de prendre la chambre d’ami. Moon habitant relativement loin, nous avons vite compris qu’elle devrait également dormir chez moi.

J’avoue avoir été stupide ces deux derniers jours, bien plus que d’habitude. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je relate tout cela ici. J’espère sincèrement que les conséquences ne seront pas aussi graves que je les imagine. Mais ma capacité à croire que je pouvais toujours gruger le monde extérieur avec des plans tirés par les cheveux a pris le dessus sur la logique.

Fred et moi avons fait en sorte que l’ancien couple ne se croise pas dans un premier temps. Avec Moon, nous nous sommes isolées dans un coin sympa à l’extérieur pour descendre une bouteille de rhum. Je n’ai pas pour habitude de boire énormément, mais le rhum a toujours été mon point faible. Je me sentais vraiment bien, nous dansions ensemble à deux, nous discutions et pour la première fois je me sentais vraiment bien avec une autre fille. A ma place. Et puis est venu le sujet de Lucie. Fred et moi avons complètement arrêté de la voir pour divers raisons et le sujet est resté posé un peu trop longtemps sur la table. Complètement torchées, nous nous sommes retrouvées à nous embrasser, Fred nous rejoignant peu après. Heureusement, nous n’étions pas en état d’aller plus loin. D’un commun accord, nous avons décidé de ne pas en souffler mot à San.

Les choses auraient pu s’arrêter là mais il en a été autrement.

En arrivant chez moi, j’avais anticipé le fait que San serait dans le salon avec les amis de mon frère, mais il fumait sur la terrasse. Subitement, le bras de Moon m’a paru lourd, et je me suis rendue compte que son corps penchait sans cesse dans la direction de San. Oh, je ne sais pas vraiment si elle a distingué quoi que ce soit dans le noir, mais elle s’est écroulée juste après avoir dépassé le siège sur lequel il se trouvait. Mon frère et ses amis nous ont aidé à la mettre dans la bonne position le temps que les pompiers arrivent. Cette idiote (je le dis sans méchanceté) avait ingéré des antidépresseurs juste avant. Dans le noir, je n’avais rien vu. Les pompiers ont réussi à la calmer et par chance, elle n’a pas fini à l’hôpital. Le reste de cette première soirée s’est bien terminé, bien que Moon aie tenu à dormir avec San cette nuit-là. Je n’étais pas vraiment d’accord, mais je n’avais pas mon mot à dire là-dessus, alors j’ai laissé faire.

Le jour d’après, Moon m’apprend qu’elle doit donner le chaton en commun avec San car personne ne peut s’en occuper. Heureusement, l’animal est pris en charge par une connaissance peu de temps après son appel. Je la convainc de revenir pour la grosse soirée, car malgré la présence de son ex, je sens que les personnes bienveillantes que j’ai eu le plaisir de rencontrer (une amie de mon frère en particulier, qui a géré l’arrivée des pompiers et l’état de Moon comme une pro) pourront l’aider à se changer les idées.

Revenons alors au début de cette publication. Nous nous étions arrêtés en milieu de soirée. Pour être franche, je commençais à tituber. L’alcool peut se montrer traître quand on bouge sans arrêt pour anticiper les dégâts d’une cigarette ou les conséquences d’un énième verre d’alcool. Pourquoi j’avais accepté de couvrir mon frère pour cette soirée ? J’y voyais un moyen de me rapprocher un peu plus de lui. Comme il le dit, il se montre souvent froid, et nous sommes très différents. Une vidéo me revient en mémoire : mon frère, ses amis, Freddie et moi en train de danser comme des sauvages sur un morceau de rap absolument iconique. J’ai adoré ce moment. J’ai adoré voir nos groupes d’amis se mélanger, se connaître, s’épauler dans certains moments difficiles. J’ai adoré connaître davantage mon frère et nous avouer mutuellement notre affection fraternelle l’un pour l’autre. Certes, nous avions bu, l’alcool déliait nos langues si souvent enfermées derrière des murs de préjugés.

Sur la terrasse, alors que Moon vient à ma rescousse pour gérer les jeunes, je sors LA blague pas drôle, celle qui a tout déclenché. Je lui dis sur le ton de l’humour que je suis tellement bourrée que je pourrais l’embrasser. Je maintiens mon avis malgré ma sobriété actuelle ; je n’avais pas envie de tenter quoi que ce soit avec elle ce soir-là. Nous avions mis les choses au clair, et bien que démarrer une relation spéciale avec elle ne m’aurait pas vraiment dérangé, j’avais compris que nous faisions fausse route. Mais je crois bien que la situation m’avait paru tellement insolite que j’étais encore un peu déboussolée. J’avais besoin de détendre l’atmosphère, et je pensais un peu stupidement qu’elle comprendrait que cette blagounette de mauvais goût n’avait que pour but d’enlever un peu de ce malaise qui m’accablait à chaque fois que je posais les yeux sur elle ou sur San.

En un rien de temps et sans savoir comment, je me suis retrouvée dans ma chambre. Fred n’y ait pas allé par quatre chemins; j’avais été trop loin. Moon prenait ma blague pour de la drague lourde. Sur le coup, je n’ai pas vraiment eu la force de répondre. J’étais sous le choc. Mon hypocrisie semblait me revenir en pleine face ; j’ai toujours hurlé contre les dragueurs de pacotille, les gars un peu lourds comme peu l’être Gé, voire les agresseurs. On m’a sensibilisé très tôt à tout cela sans que je n’ai rien demandé à personne, et j’en reste légèrement traumatisée. Cependant, mon intention n’avait rien à voir avec l’interprétation de Moon, qui s’apparentait à une agression. Fred lui-même a employé ce terme. Il a précisé que mon intention ne changeait rien à l’action. Je me sens affreusement bête, malgré le fait qu’elle m’a assuré m’avoir pardonné pendant la soirée. Je pense qu’elle voulait simplement limiter le malaise qui planait entre nous, et qui planait encore lorsque je l’ai ramenée en voiture. Je l’ai senti à son silence, sa manière de me regarder. C’est horrible de se sentir comme un prédateur quand on sait pertinemment qu’on ne voulait rien faire de ce qu’on nous reproche. Cependant, je pars du principe que son ressenti est plus important que le mien, alors je l’ai joué fine. J’ai évité de rester dans son cercle proche, j’ai simplement fait la conversation dans la voiture, sans trop forcer. Je ne me suis pas excusée de manière démonstrative, j’ai à peine effleuré le sujet en évoquant l’alcool.

Une fois mon amie (ou devrais-je plutôt dire ex-amie ?) déposée, j’ai trainé un peu, j’en ai profité pour aller voir ma grand-mère (elle habite à cinq minutes de chez Moon) et faire les courses. Le coin m’a arraché des tonnes de souvenirs et des larmes aux coins des yeux. Ce paysage, je le vois depuis toute petite. Cette campagne, elle m’a accompagné dans de nombreuses aventures, avec les enfants des voisins, mes cousins, mon ancien meilleur ami et mes amis actuels. Quand j’ai réalisé que plus rien ne serait pareil, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer. Au supermarché, je n’arrivais pas à me concentrer, si bien que j’ai mis un temps infini à rechercher cinq pauvres articles. Ce coin, j’ai envie d’y habiter. Plus encore que Citadelle, qui est la ville de mon adolescence, la ville où j’ai rencontré mes amis. Liminal est un regroupement de trois villes très proches, qui forment le fameux coin dont je parlais. La journée, ce ne sont que trois petits villages plutôt mornes, des petits villages de campagne. Mais les endroits sont horriblement familiers. J’ai l’impression de dérouler une frise chronologique entière de souvenirs, j’ai déjà évoqué ma faiblesse face à la nostalgie dans un précédent article.

Shadok me manque. Il était le seul de mes amis de troisième à habiter Liminal, et j’habitais encore plus loin par rapport à notre groupe d’amis. J’imagine que les nombreux allers retours de ma mère pour aller le chercher et ainsi l’intégrer aux sorties ont joué. Il faisait souvent l’effort de venir me voir en vélo, il mettait bien une heure et demi, juste pour me voir. Nous avons souvent été plus qu’ambigu, et comme avec Moon, c’est cette ambiguïté qui a tout gâché.

J’aimerais envoyer une lettre à Shadok, mais je sais que ça ne servirait pas à grand chose. Il habite à deux pas de ma faculté, mais ne propose jamais de se voir. Notre dernière rencontre remonte à octobre, novembre, et depuis, nada. Je ne sais pas si c’est lui, ou sa copine qui ne veut pas de nouvelles de moi. Sûrement un peu des deux. De mon côté, je suis claire avec mes sentiments à son égard depuis des années; je ressens une amitié aussi forte qu’un lien de sang pour Shadok, et je sais que ce sentiment ne me quittera pas de sitôt. J’ai beau me méfier de l’amitié homme-femme, je me doute qu’elle est possible lorsque les choses sont mises à plat. Il y a environ un an, il m’a avoué que notre amitié avait été la chose la plus forte qu’il avait jamais ressentie. Je ne sais pas si je dois l’interpréter comme un signe d’ambiguïté (et au fond de moi, j’espère que ce n’est pas le cas), n’empêche que cette phrase reste accrochée dans ma tête. Un stupide petit signe d’espoir. J’ai envie de revoir son sourire franc et ses manières maladroites. Comme pour mon frère, je ressens un besoin de le protéger.

Je ne veux manquer de respect à personne, aussi, je vais laisser à Moon le temps de revenir vers moi si l’envie lui prend. Pour le moment, elle a d’autres chat à fouetter que mes jérémiades. J’ai déjà évoqué le sujet Shadok avec Fred. Il ne m’a pas empêché de le voir, ni de lui parler. Par contre, il m’a plus ou moins fait réaliser que j’étais la seule à espérer retrouver une amitié aussi forte que celle qui nous unissait par le passé. J’espère qu’il se trompe.

Liminal me fait penser à la fin de toute chose. C’est beau et terrible à la fois. Les enfants des voisins, mes cousins, tous ont grandi et se sont éloignés de nous. On entend encore leur nom cités dans certaines réunions de familles, pour évoquer leurs études. Qu’est-ce que ça peut bien me faire, finalement ?
J’aimerais avoir la possibilité de recontacter toutes ces personnes sans avoir l’air d’un fantôme désespéré jaillissant du passé.

Soit. Peut-être que je ne partagerais plus jamais de table avec Moon et San. J’aimerais qu’ils règlent leurs problèmes et se remettent ensemble. Je ne devrais pas pleurer, cette rupture n’est pas la mienne. Mais je repense aux Halloween, nouvel an, nombreuses soirées où je ne me sentais pas à ma place, mais où je venais quand même. D’un seul coup, quand j’ai rencontré Walter et Claude, j’ai commencé à fréquenter un peu moins Moon, San et les potes qui les entouraient. Il faut me comprendre.
Mes deux copains habitent à côté. Avec eux, les blancs ne me mettent pas mal à l’aise. Je réalise à présent que le seul malaise avec l’autre groupe venait simplement de moi. J’ai toujours peur de ne jamais réussir à m’adapter avec des gens très différents de moi, pourtant, en deux ans, j’ai fait énormément de progrès. Alors oui, maintenant, je regrette ces soirées où nous fumions, buvions, en se racontant sans doute quelques mythos au milieu des anecdotes. Plus rien ne sera jamais pareil. Triste et beau à la fois qu’est le souvenir perdu à tout jamais et pourtant si vivant dans nos cerveaux endeuillés.

Klairosclérose.